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Génération(s) mercure
LUCAS FRAYSSINET

Lucas Frayssinet est à l’agence Hans Lucas. Photographe reporter, il travaille sur des documentaires, des productions télévisuelles et des longs-métrages. Depuis 2020, il vit la plupart du temps dans les Îles Féroé.
En 2023, il expose son travail Jeunesse(s) Féroïenne(s) dans des institutions françaises. Suit Eitt ár í Føroyum – Une Année Féroïenne, documentaire de 52’ qui raconte la vie quotidienne sur ces îles. Il participe au tournage de The Last Paradise on Earth (film de Sakaris Stora), et à un épisode de la série documentaire Notre Terre (par Lucas Allain pour Arte). Il travaille actuellement en tant que premier assistant réalisateur sur la préproduction d’un long-métrage pour le cinéma, toujours aux Féroé.

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Génération(s) mercure

Sur les Iles Féroé, les habitants ont longtemps chassé les  globicéphales noirs, globicephala melas. Cette pratique – grindadráp –  remonte au XVIe siècle et est encore pratiquée.  Les Féroïens ont été dépendants de cette viande pendant des siècles. Les sources de nourriture étant rares sous ce climat hivernal parfois extrême, ils constituaient pour survivre des réserves de viande de globicéphale, de dauphin, de mouton et de poisson.

Mais c’est d’une autre problématique dont s’est emparé Lucas Frayssinet lors de son séjour dans les îles. Il est apparu dans les années 90 que la viande de globicéphale était polluée au mercure. Cette pollution découle principalement des activités humaines via l’orpaillage notamment. Placé en haut de la chaine alimentaire, ce gros mammifère d’environ 500kg se nourrit de poissons déjà légèrement pollués, et ainsi accumule le mercure dans son organisme. C’est Pál Weihe, un scientifique féroïen, qui a sonné l’alarme en 1987.  Depuis, il mesure périodiquement le taux de mercure dans le sang et les cheveux de  3 000 habitants.

Les conclusions de Pál Weihe avaient été plutôt mal accueillies à l’époque, et un clivage s’est créé dans la population, les uns résistant au nom de la tradition et les autres plaidant la prise de conscience.

 Aujourd’hui, cette prise de conscience a eu lieu –  les femmes enceintes et les enfants n’en consomment plus – et la chasse du globicéphale noir parait lointaine à la nouvelle génération. Paradoxalement, une part de la jeunesse considère que manger la viande d’un animal local, qui a vécu librement, est « plus éthique que d’ingérer du bœuf importé par bateau et bourré d’antibiotiques ».
Dans les îles Féroé, on ne dépend plus de cette ressource ancestrale, mais cette tradition alimentaire n’en reste pas moins ancrée dans les mœurs.

Cette série me plait par l’expression des paradoxes dont elle traite. Entre le choix d’une alimentation liée à la ressource et celle liée à l’élevage ; entre le choix de la tradition et une confrontation de tradition à la vision d’une époque ; et ce qui relève de la connaissance que sont les effets des polluants sur nos organismes de mammifères. Cette difficile acceptation nous ramène à notre condition d’être un parmi d’autres dans un monde dont on ne peut se soustraire.

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